Après le passage du plomb au lithium-ion, la voiture électrique s’apprête-t-elle à vivre une nouvelle révolution ? C’est en tout cas ce que la plupart des constructeurs espèrent en investissant sur les batteries dites solides, par opposition aux accumulateurs actuels à électrolyte liquide. Mais en dépit des annonces qui se multiplient, cette technologie demeure méconnue du grand public. La faute aussi bien à sa complexité apparente qu’à un calendrier de lancement encore flou. Certains, comme Tesla, se montrent même sceptiques et minimisent les avantages supposés de ce type de batterie, tandis que rares sont ceux qui imaginent une démocratisation avant le milieu de la décennie. L’argus vous propose de faire le point.
Pour bien comprendre ce qu’est une batterie solide, il faut déjà savoir comment fonctionne une batterie classique. Elle stocke invariablement de l’électricité qu’elle est ensuite capable de restituer ou de récupérer grâce à une réaction chimique appelée oxydoréduction. Pour cela, il faut faire circuler des électrons entre deux électrodes, la cathode, qui représente le pôle positif, et l’anode, qui est le pôle négatif. Ces deux bornes sont immergées dans une substance conductrice, l’électrolyte. C’est lui qui permet aux ions, ces atomes ayant gagné ou perdu un ou plusieurs électrons, de se déplacer d’un côté à l’autre, en fonction des phases de charge et de décharge. Dans une batterie lithium-ion, cet électrolyte est liquide.
Avec la batterie tout-solide (all-solid state battery ou ASSB en anglais), vous l’aurez deviné, le but serait qu’il utilise un matériau solide, qui peut prendre la forme d’un polymère ou d’une sorte de céramique. Cela présente des avantages… et des inconvénients. Attention, il existe aussi des batteries dites semi-solides, qui conservent des composants liquides et sont ainsi plus simples à industrialiser. C’est le choix de la jeune marque chinoise Nio pour ses berlines ET5 et ET7, et il semble que sa compatriote Dongfeng ait effectué le même pour la flotte de 50 taxis E70 qu’elle vient de lancer en grande pompe en janvier 2022… même si sa communication peut laisser penser le contraire. Ici, nous nous concentrerons seulement sur les « vraies » batteries solides, encore plus prometteuses.
Avec un tel florilège d’avantages théoriques, on pourrait se demander pourquoi la batterie tout solide n’est pas déjà devenue la norme. Mais il reste encore de nombreux obstacles à franchir pour pouvoir la proposer en série. Il est en effet très difficile de concevoir un électrolyte solide qui soit à la fois très stable, chimiquement inerte et très conducteur. Si la batterie des Bluecar Bolloré est par exemple déjà de type tout-solide, son électrolyte en polymère doit être chauffé à 60/70 degrés en permanence. Une contrainte qui oblige à laisser quasiment tout le temps les véhicules branchés, sous peine de les retrouver rapidement vides ! Les chimistes du monde entier travaillent ainsi sur le bon choix et le bon dosage des matériaux utilisés, sans qu’un consensus ne se dégage vraiment.
Les promesses d’une durée de vie accrue sont également loin d’être respectées pour l’instant. Bien au contraire : d’après Toyota, qui est l’un des constructeurs automobiles les plus avancés dans ce domaine, ce serait aujourd’hui le problème majeur des prototypes testés par la marque. Enfin, la production à grande échelle et à coût raisonnable de ces accumulateurs d’un nouveau type est aussi un véritable challenge. Pour l’heure, aucun fabricant n’en est réellement capable, et la plupart des batteries solides qui existent déjà coûteraient huit fois plus cher que leur équivalent lithium-ion à électrolyte liquide, d’après des experts cités par Reuters. Voilà qui donne une idée du chemin qui reste à parcourir.
Avec autant d’inconnues à résoudre, les constructeurs évitent en général de donner un calendrier. La plupart communiquent sur une arrivée en série au mieux pour la deuxième moitié de cette décennie, quand d’autres, comme BMW, tablent plutôt sur 2030. L’un des plus optimistes est Stellantis, qui annonce vouloir « introduire une technologie de batterie à électrolyte solide dès 2026 ». La filiale premium de Toyota, Lexus, a pour sa part récemment évoqué une « possible utilisation d’une batterie tout-solide » sur sa future supercar, remplaçante de la LFA. Mais cette formulation ne l’oblige à rien et la date de lancement de cette sportive, qui devrait être produite en quantité très limitée comme sa devancière, est encore floue.
“C’est finalement encore Nissan qui se montre le plus précis : « d’ici le milieu de l’année 2028, l’objectif est de produire la technologie ASSB en série », a récemment annoncé le constructeur japonais.“
Nous l’avons vu, la plupart des constructeurs s’intéressent de près à la batterie solide. Face à la complexité des obstacles à franchir, seuls Honda ou Nissan semblent cependant avoir choisi un développement à 100 % en interne pour l’instant. Les autres ont tous signé des partenariats avec des entreprises spécialisées. Y compris Toyota qui a conclu une joint-venture avec Panasonic pour compléter le travail de ses propres équipes d’ingénieurs. Stellantis, fruit de la fusion de PSA Peugeot-Citroën et Fiat-Chrysler, a pour sa part jeté son dévolu sur la start-up américaine Factorial, également choisie par Mercedes. La marque à l’Étoile a même doublé la mise en ayant investi juste après dans Prologium, la « première société de batteries au monde à produire en masse des batteries solides au lithium céramique » . Hyundai-Kia joue également sur deux tableaux : celui de Factorial d’un côté et celui d’une compagnie nommée Ionic Material de l’autre.
BMW et Ford sont, eux, présents dans le capital d’une autre entreprise américaine au nom très parlant, Solid Power, qui doit inaugurer une ligne de production pilote dès cette année. Le choix de Volkswagen s’est porté sur QuantumScape, fondée en 2010 en Californie, et General Motors pourra s’appuyer sur une joint-venture avec Posco Chemical. Gare également à ne pas oublier les constructeurs chinois. Nous avons vu que Nio et Dongfeng ont déjà lancé des batteries semi-solides, et l’Empire du Milieu reste l’un des premiers producteurs et concepteurs d’accumulateurs dans le monde. Mais Geely, connu en Europe comme le propriétaire de Volvo et Lotus, ne semble pour sa part pas vraiment travailler sur le sujet pour l’instant. Le groupe préfère investir dans des améliorations des technologies à électrolyte liquide. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas. Parmi les absents de marque dans cette grande course à la batterie solide, on trouve en effet Tesla ! Le constructeur américain a-t-il raison de se montrer aussi prudent ou prend-il au contraire le risque de perdre toute l’avance qu’il avait acquise sur ses rivaux ? Il faudra attendre au moins le milieu de la décennie pour le savoir.